Interview – Yasey : rappeuse, chanteuse et enseignante engagée pour la jeunesse et l’espoir.

Bonjour Yasey, pour les présentations, parles nous de toi : qui es-tu ? D’où est-ce que tu viens ?

Moi c’est Yasey, je suis une artiste rappeuse/chanteuse et à la fois je fais des textes engagés. Je viens de Marseille mais ça fait quelques années, 3 ans et demi, que je suis à Montreuil. 

Comment as-tu commencé la musique ? Depuis quand en fais-tu ?

J’ai commencé à faire de la musique grâce aux Jams et aux Opens-mics. Au départ je suis graphiste-illustratrice, même si maintenant j’ai arrêté cette activité et je suis prof d’arts appliqués en Lycée Pro.
Quand j’étais graphiste à mon compte j’ai beaucoup travaillé pour des potes artistes qui faisaient de la musique : je faisais des logos, des flyers et c’est eux qui m’ont embarquée dans cet univers et j’ai vraiment aimé. Je dessinais beaucoup pour exprimer des choses de mon côté et il y a eu un moment où j’ai eu besoin d’écrire et de poser des mots.
C’est en allant régulièrement à des Jams que je suis tombée sur une meuf qui m’a proposé de faire des ateliers d’écriture. C’était dans une asso qui s’appelait Dar Lamifa à Marseille. J’ai commencé en 2015 à vraiment écrire des textes que j’allais ensuite faire en Open-mics.

Quel a été ton déclic ? Qu’est-ce qui t’as fait prendre conscience de ton talent, de ta voix ?

Le déclic pour la voix, on peut dire que j’ai toujours chanté dans la salle de bain, donc je me faisais des petits concerts privés, je chantais beaucoup du yaourt anglais, à toutes les sauces, c’est venu de là l’amour pour la musique et le chant. Enfin, j’ai toujours aimé la musique, mais le chant c’est venu de ces impros dans la salle de bain. 

Comment tu définirais ton style musical ?

Pour mon style musical, comme je mélange le rap et le chant, à la fois le rap c’est pour pouvoir dire des choses qui me touchent à coeur. Il y a des choses qui me révoltent dans la société ou en tant que prof. Je travaille depuis 11 ans dans l’éducation nationale je vois beaucoup d’injustices, il y a beaucoup de révoltes que je ne peux pas exprimer sous forme de nerfs donc la musique et l’art ça a été mon moyen, mon exutoire, pour exprimer ça.
Faire en sorte que ce soit digeste aussi, que tout le monde puisse entendre ce que j’ai à dire, notamment les élèves et les plus jeunes : il n’y a pas de choses grossières dans mes textes et ça c’est volontaire aussi. 

Quels sont les artistes qui t’ont le plus inspirés dans ton travail ? Quelles sont tes influences ?

C’est vrai qu’au départ moi j’écoutais plus des musiques américaines, que ce soit dans le rap, que ce soit dans le reggae, dans la musique soul, le jazz aussi.
En rap français, ou musique française, c’est vrai que j’ai mis du temps à m’y intéresser. J’ai été marquée par IAM et NTM, pour moi ça restera les plus grandes figures qui m’ont marquée dans le rap. Après celui que j’aime beaucoup, qui continue toujours à propager ce genre de message, c’est Kery James. Kery James, c’est mon modèle actuel.
J’ai beaucoup aimé que ce soit Youssef Swatt’s qui gagne la Nouvelle École : je me dis que ceux qui ont à peu près mon âge, on a gagné, avec des messages à texte et pas juste des sons qui vont générer des streams, c’est bien de revenir à l’essence même du rap et des valeurs qu’il y a à transmettre derrière la musique.

Est-ce que tu joues d’un instrument de musique, et si oui lequel ou lesquels ?

Ça fait un peu plus de 2 ans que j’apprends la batterie, j’ai pu sur deux scènes faire un de mes sons, un de mes textes en faisant la batterie et en même temps rapper/chanter. En tout cas c’est la batterie, la percussion que j’aime le plus et que je poursuis.

Pourrais-tu nous parler de la façon dont tu composes, dont tu écris tes chansons ? Ton processus de création ?

Ça vient d’une idée forte, c’est par les tripes que les idées me viennent, j’ai souvent le refrain qui me vient d’un premier coup. ça vient d’un ressenti qui est fort, ça peut être une injustice, quelque chose que je vois ou que je vis sur le terrain. Ça sort sous forme d’un refrain, des fois j’écris des textes comme ça, j’écris ce qui me vient, ça peut ressembler à du slam, quelques rares fois, il y a eu des instrus que j’ai écoutées qui m’ont inspiré des textes. J’ai pas un seul processus, y’en a eux différents, il n’y a pas une seule méthode qui m’a poussé à écrire des textes en entier.

Peux-tu nous parler de ton dernier projet ?

Mon EP, c’est la dernière chose que j’ai sortie : c’est un EP de 5 titres qui s’appelle “Lettre à la jeunesse”, j’ai utilisé les initiales LALJ. Dans cet EP, j’ai bouclé la boucle : quand j’étais au départ graphiste-illustratrice à mon compte, c’était une activité d’auto-entreprise, donc je ne savais jamais ce que j’allais avoir à la fin du mois et en fait j’avais besoin d’un boulot alimentaire, j’étais surveillante en lycée pro et c’est là que j’ai découvert plein de vécu, pleins de manières d’être, j’ai vraiment découvert ce que c’était que la résilience de par les parcours que j’ai pu croiser, j’ai pu relativiser énormément sur ma propre vie, même si j’ai vécu certaines choses qui étaient difficiles à surmonter, au final c’est ces parcours qui m’ont fait grandir.

C’est en étant surveillante que j’ai eu mes premiers textes et dans ce lycée en particulier il y a eu pas mal de moments très forts. Dans mon EP “Lettre à la jeunesse”, j’ai pu faire le clip du premier single dans ce lycée. Ça faisait 7 ans que j’y étais pas retourné et ça m’a vraiment touché de boucler la boucle en rendant hommage à tous ces beaux moments que j’ai pu vivre aussi. Puis c’était un message pour eux la jeunesse, donc j’ai pu le faire directement dans un lycée en impliquant des jeunes que je ne connaissais pas. On a préparé ça en amont pendant deux mois à distance pour que je puisse ensuite faire le clip.
Cette dimension-là, c’est à la fois un message d’espoir que je voulais communiquer auprès des jeunes. Je l’ai concrétisé en faisant des clips, en faisant participer aussi ces jeunes. Et voilà… on sait que la vie elle n’est pas facile et qu’il faut s’accrocher qu’importent les obstacles et les injustices qu’on peut vivre, il faut tracer sa route et toujours croire en ses rêves, c’était ça le message.

Quels sont les thèmes/sujets dont tu veux parler en tant qu’artiste ? Qu’est-ce qui toi te touches le plus ?

L’actualité politique je la suis énormément, en étant dans l’éducation nationale on est obligé d’être politisés, parce qu’on se fait bouffer chaque année à chaque réforme. On voit les injustices : tous les problèmes de nos sociétés, on les voit à l’échelle d’une école, et chaque réforme on voit à quel point elle a un impact réel. Je suis témoin tous les jours de choses que je ne peux pas communiquer ça à mes élèves, j’ai envie qu’ils croient en eux, ils doivent s’occuper de leurs scolarités. Par contre tout ça c’est tellement criant en moi que j’ai besoin de le dire, je ne peux pas garder ça pour moi, c’est trop révoltant.

C’est un peu une critique envers nos élus, envers nos gouvernements, faire des économies sur l’école publique je trouve ça rageant, j’ai tellement d’autres mots mais je préfère utiliser celui-là. Si on n’investit pas sur l’avenir, je ne vois pas quel est l’avenir qu’on peut proposer à nos jeunes si on leur met des bâtons dans les roues dès le départ.
Les discriminations, les inégalités ne font que s’accroître à l’échelle de l’école et c’est alarmant. Et à part par l’art, je ne sais pas comment le dire autrement, c’est ça qu’on peut écouter à travers tous mes textes de cet EP.

Quelle est ton expérience par rapport à la scène ? Comment pourrais-tu décrire tes expériences en live ? Quels sont tes émotions, ce que tu ressens lorsque tu chantes devant un public ? Avant, pendant et après un concert ?

J’ai pu faire deux concerts où j’ai mis en avant l’EP en question avec ses 5 titres, ça a été un beau partage, j’ai pu aussi avoir l’avis des gens juste après donc ça a parlé, c’est ça qui était important donc le message je pense qu’il est passé. A la fois j’ai pu faire ces deux concerts pour l’instant en acoustique avec des vrais instruments de musique, je trouve que ça a donné une autre dimension à l’EP. J’ai pris un énorme plaisir quand j’ai fait de la batterie en même temps que le rap/chant, même si ça me met un peu en arrière sur la scène, mais c’est là où j’ai trouvé l’émotion la plus forte sur scène.

Le fait aussi d’avoir été avec une équipe, qu’on ait pu s’entraîner avant, il y’a eu une synergie qu’on a pu communiquer avec le public, ça a été très fort. Après je continue à faire des opens mics. Au final je fais plus mon EP à travers les Opens mics. Comme j’ai pas encore le réseau, j’ai pas encore toutes les connaissances, j’ai l’impression qu’il faut encore que je fasse mes preuves, donc j’ai pas réussi à être programmée plus que ça, mais en tout cas je laisse pas tomber, ce que je dis aux élèves c’est pareil pour moi, faut que je crois en mes rêves, faut que je m’accroche. Le but c’est de trouver encore d’autres occasions, il y a d’autres textes en écriture aussi donc moi je vais continuer mon petit chemin et si j’ai l’occasion de représenter tout ça plusieurs fois, c’est avec plaisir.

Tu préfères le studio ou le live ?

Je préfère le live, mille fois plus haha. Le studio il faut arriver à donner une certaine émotion, sur tout le fil du texte. Il va falloir être minutieux sur tous les mots intonations qu’on va prononcer, alors qu’en live c’est tellement plus fluide, tellement plus naturel et spontanée, c’est dur de transposer la spontanéité en studio.

Est-ce que tu es plutôt du type à travailler à la lettre tes chansons, ou plutôt laisser une part à l’improvisation.

Pour l’instant comme j’ai pu faire les deux concerts live avec les musiciens il y a eu des répétitions mais il y a toujours cette part de mystères que je veux préserver parce que quand même on propose quelque chose sur le moment, sur l’instant, c’est ça qu’il y a de plus magique, et c’est aussi grâce aux opens-mics que j’ai pu apprendre et vraiment ressentir ça tellement fort, de proposer quelque chose sur le moment, c’est pas quelque chose qui peut préparer à l’avance. J’aime bien quand il y a cette part de magie qui n’est pas prévue.

Comment tu organises ta vie en tant qu’artiste, comment trouves-tu un équilibre entre ta vie perso, ta vie pro et ta vie artistique ?

C’est très dur haha… Alors je te cache pas que ça a été très dur. Je suis prof d’art appliqué, j’ai 12 classes, j’ai 300 élèves les effectifs de classes ne font qu’augmenter. Pour moins subir aussi ce que je vis sur le terrain, je suis aussi devenu la représentante syndicale de mon lycée, j’ai aussi cofondé l’association du personnel du lycée, je suis aussi dans la lutte contre le harcèlement, j’ai pu faire une formation qui s’appelle la formation sentinelle et que je conseil vivement à un maximum de personnes, de professeurs, d’élèves, à la faire.

Je me suis impliquée un peu partout, plus je fais des choses, plus j’en fait encore, même si des fois c’est le corps qui en pâtit, des fois c’est des grosses fatigues physique, des fois je suis obligé de délaisser quelque chose et c’est plus la musique que je délaisse. L’EP j’ai quand même mis 2 ans à le faire sachant que j’ai déménager au milieu. J’avais mis un arrêt parce que je voulais faire un EP avant de déménager de Marseille, ça a été une année où je finalisais le concours, donc j’avais très peu de temps au final pour vraiment me concentrer sur la musique, donc mon travail à beaucoup bouffé de ma vie personnelle de mon temps perso et c’est la musique que je délaisse à chaque fois. Donc je fais comme je peux, c’est un peu la réalité.

Quels sont pour toi tes plus grandes forces musicales ?

Je dirais que c’est l’authenticité dans les textes, c’est ça qui vient aussi dans le retour des personnes qui ont pu me voir sur scène, dans les messages ou qui ont dit que ça les a touchés directement, qui se sont senties reconnus, ça va être l’authenticité. Alors je dis pas que je suis parfaite ni au niveau des vocalises ni quoi que ce soit, mais c’est le message, je pense, qu’il y a derrière les textes qui est ma plus grande force.

Qu’est ce que tu aimes le plus dans la musique, ce qui te fait le plus vibrer ?

J’aime quand ça me transporte quelque part, dans des nouveaux recoins de mon imagination, je sais pas comment le dire, mais la musique ça vibre, c’est des choses qui se passent dans notre corps et qui nous font ressentir autrement.

J’ai toujours aimé la musique depuis qu’on avait des cassettes audio, j’enregistrais des passages de musique avec des cassettes. Quand il y a eu le début du mp3 pareil, quand il y a eu les walkmans : j’ai testé tous les types d’écoute de musique en fonction de nos époques donc la musique ça m’a toujours aidé, ça a été un échappatoire aussi à certaines réalités que j’ai pu vivre sans rentrer dans les détails, mais ça a été un échappatoire. Alors après il y a la musique suivant les émotions, si j’ai envie de danser je vais écouter certains types de sons, si je suis en mode dépressions/rupture je vais écouter un autre style de son, ça dépend des émotions, c’est un peu des amplificateurs d’émotions la musique.

Il y a t il une chanson qui te tient particulièrement à cœur ?

Il y’en a plein qui m’ont marqué, vraiment pleins. Celle qui m’a fait quelque chose en particulier c’est celle de Portishead – Give me a reason to love you, celle là elle m’a marqué, ce côté rétro, au delà même du style y’a quelque chose dans ce son.

La chanson que tu écoutes en boucle en ce moment ? 

C’est Thornato, qu’on m’a fait découvrir et le titre c’est Rhinocéros, je t’invite à l’écouter, c’est ouf.

La chanson que tu ne peux plus écouter du tout ?

C’était plus les musiques de ma petite soeur, peut être Lorie ou Tokyo Hotel, que je ne pouvais pas blairer quand elle mettait ça quand on étaient en voiture haha. Là oui j’avais les poils qui s’hérissaient haha, je disais “ça c’est pas de la musique !” haha, et bon y’avais rien à faire, j’avais perdu la bataille haha.

La chanson qui te fait pleurer ?

High” C’est d’un des fils Marley. Alors y’en a pleins des musiques qui me font vraiment pleurer, mais là je pense à celle là.

La chanson qui te met de bonne humeur ?

Il y a un moment donné en tant qu’étudiante, j’avais mis en boucle “I want to break free”, ça a été une musique entraînante pendant un moment, pendant mes années étudiantes et du coup même en y repensant ça me donne toujours le smile celle là.

Une chanson/artiste/groupe plaisir coupable ?

On va dire c’est Beyoncé, parce qu’elle est controversé de pleins de choses, mais à la fois elle fait partie aussi de l’époque où j’écoutais que des musiques commerciales, avec MTV, avec ce qui passait à la radio. J’ai mis vraiment bcp temps avant de découvrir tous les sons alternatifs qui existait où je me suis dis “enfin de la vrai musique”. Pour moi la vraie musique je l’ai découverte après quand j’ai été étudiante en études de graphismes où j’ai compris qu’il me manquait beaucoup de bagage culturel musical, cinématographique. Donc on va dire que Beyoncé, ça faisait partie des sons que j’écoutais beaucoup quand j’étais plus jeune et que j’écoute encore aujourd’hui, c’est mon plaisir coupable Beyoncé.

L’instrument que tu préfères & l’instrument que tu aimes le moins ?

La batterie haha c’est logique. L’instrument que j’aime le moins… je dirais le triangle haha, ça reste de la percussion haha. Ou le pipeau, voilà j’aime pas le pipeau, j’aime pas les gens qui mentent haha.

Si tu pouvais choisir une scène où chanter n’importe où dans le monde, ce serait où ?

Je rêve pas forcément des grandes scènes du genre Bercy et tout, c’est vraiment par rapport au festival qui m’a le plus marqué, c’est le Rototom… et bah à la limite, au Rototom ça me ferait vraiment plaisir.

Qu’est-ce que tu aimerais réaliser dans les prochaines années ? Quels sont tes rêves, tes ambitions ? 

Qu’est-ce que j’aimerai faire dans les prochaines années ? A la fois continuer la musique, mais au fond, vu que mes textes parlent de l’école, de l’actu, j’aimerai bien en fait que les choses changent au niveau de notre société, parce que moi je vois que tout se dégrade, notre système social se dégrade, tout le service public se dégrade, on voit la montée de l’extrême droite un peu partout et ça je t’avoue que ça m’inquiète énormément, donc c’est ce qui va ressortir dans mes prochains texte, tout est vraiment basé sur l’actu. Je le vis, je le vois avec les jeunes et pour moi tant que ça ne changera pas, c’est ce que je vais évoquer avec mes textes, mais au fond j’aimerai que ça change dans le positif.